Title: Extraction de données dans excel
1 emonter dans la bouche. Mais, comme
chaque fois que son ulcère piquait une crise, Mac
Fair connut
alors un moment rare de
lucidité.
La crise du Golfe avait
surpris tout le monde. Enfin, presque. Pas ce
fouineur de Costello, avec un pied
perpétuellement posé du côté
dIsraël. Si, comme il laffirmait à présent, la
machine devait semballer de
nouveau,
le prix à payer pouvait savérer très cher.
Soyons
pragmatiques, Costello, et essayons de
récapituler, daccord ? Une réunion au sommet
des services secrets arabes devrait
avoir lieu, daprès vous, dans une ville
déterminée de lArabie
Saoudite.
Admettons. Mais sur quels arguments vous
basez-vous pour conclure que la conséquence de
cette réunion pourrait mettre en
danger le régime, ce qui pourrait impliquer
léviction de notre pays de
cette
partie du monde? Nest-ce pas aller trop vite en
besogne ?
Depuis que Costello le
connaissait, Mac Fair nétait jamais parvenu à
saisir avec la finesse souhaitée les
subtilités de la mentalité orientale.
Il sagissait d'un monde tout en nuances, où
chaque mot et chaque
geste
possédaient une signification particulière. La
difficulté consistait à les interpréter selon les
principes de léthique et de
lhistoire de la civilisation musulmane. Une
sinécure, surtout pour des
esprits
formés à la logique occidentale.
Il ne fallait surtout pas mélanger
les genres. Cétait une sorte de jeu d'échecs
dans lequel lui, Andy
Costello,
excellait.
Comme vous le savez, Monsieur le Conseiller,
le régime du roi Fahd est perpétuellement
vacillant. Il vacille parce quil na
jamais reposé sur lassentiment et lallégeance
de la communauté
arabe dans son
entier. Ses détracteurs sont légion. Et noubliez
surtout pas que La Mecque et Medine
attirent des éléments perturbateurs
parmi la foule des pèlerins.
Il est
évident que le roi dArabie craint comme les sept
plaies d'Egypte linfluence de ses prétendus
frères. Mais que peut-il
entreprendre contre la volonté populaire ?
Comment pourrait-il sopposer à
des millions de fidèles, surexcités
qu'ils seraient par une éclatante action contre
les ennemis dhier et de
toujours,
les juifs et les "roumis ?
Mais de quelle action
parlez-vous, Costello ? Pour le moment, il n'y a
pas de guerre, que je
sache !
Non.
cest vrai. Il n'y a pas de guerre. Dailleurs,
peut- être quil ny en aura jamais.
Soyons clairs,
Costello. Vous êtes venu me trouver pour
mentretenir d'une affaire de la plus
haute importance. Quel est
l'essentiel de votre scénario ?
Andy était fatigué de discuter. Ils
avançaient à petits pas, et le pragmatisme de Mac
Fair lexaspérait. Il
laissa tomber
sa main sur laccoudoir lustré de son fauteuil
avec un certain fatalisme, et répondit
néanmoins
De la seule victoire qui soit
aujourdhui à leur portée, Monsieur le Conseiller
lanéantissement
de lEtat
dIsraël. Comme ça. Dune chiquenaude.
Si mon hypothèse venait à se confirmer, cest à
dire que si cette réunion qui doit se tenir en
Arabie
Saoudite aboutissait à
ladoption dun projet commun pour doter certains
pays arabes de larme
atomique -
poursuivit-il sur un ton plus bas - plus dun
milliard de musulmans, pour la plupart sous-
2 développés, regarderaient avec un
intérêt nouveau les riches plaines du nord, où
vieillit une population
infidèle. Et
nous, ces infidèles, croulons à leurs yeux sous
le poids de nos richesses !
Mac Fair
se leva d'un bond et marcha à grandes enjambées
vers la fenêtre située en face de son bureau.
Après un instant de silence, il se
retourna vers lhomme de la CIA et lui cria
presque, dune voix ironique
Vous
ne voyez que le pire, Costello. Vous êtes un
sacré pessimiste !
Qishran, (Arabie
Saoudite), le lendemain
En traversant
le jardin à landalouse qui s'étendait devant la
façade de la propriété, le professeur Keifer
et Liam Tara étaient convaincus que
limportance de Cheik Yoran ne s'arrêtait pas à
sa seule influence
auprès des tribus
nomades ou sédentaires qui peuplaient la province
où avaient lieu les fouilles.
La
résidence de Yoran sélevait aux pieds des
derniers contreforts montagneux qui venaient
mourir au
bord de la Mer Rouge, dont
la surface brillait avec intensité, éclairée par
les
derniers rayons du soleil
couchant.
La senteur des rosiers
fraîchement arrosés se confondait par moments
avec le parfum entêtant des
mandarinie
rs. En cette fin daprès-midi, le jardin semblait
revivre après la chaleur accablante de la
journée. Les arbres, les plantes, la
terre même s'épanouissaient pour un temps,
laissant libre cours à
cette féerie
éphémère de couleurs et darômes. Yoran lancien
était un esthète dans un pays où
lopulence côtoyait la
misère.
Un serviteur arriva à leur
rencontre. Il était bâti en colosse, et portait
un pantalon bouffant et une ample
chemise avec l'emblème de la maison
de Yoran brodé sur la poitrine. Il les précéda
jusquau bureau où
les attendait leur
hôte.
Yoran paraissait nerveux. Il se
leva pour les accueillir et marcha vers eux dun
pas agité. Son regard évita
le leur.
Un autre serviteur surgit aussitôt de
derrière une tenture. Il portait un plateau
chargé dune théière
richement
décorée et de trois verres minuscules. Il portait
aussi un coutelas long comme un cimeterre,
glissé dans les plis de sa ceinture
en tissu. Yoran était continuellement sur ses
gardes.
Je suis ravi de vous recevoir dans ma demeure.
Messieurs. Asseyez-vous, je vous en prie. Vous
prendrez bien le thé avec moi ?
Yoran avait parlé dun trait,
récitant un discours mille fois dit. Poli, mais
distant.
Ils sinstallèrent sur un
canapé recouvert de tissu beige. Yoran fit le
service lui-même. Il sirota ensuite
son infusion, plus absent que jamais.
Nous
ne voudrions pas abuser de votre temps, Yoran -
s'efforça de dire Keifer pour sortir le vieil
homme de cette sorte de torpeur qui
le mettait mal à laise. Mon ami Akim Al-Udaysat
ma conseillé de
venir vous
consulter. Nous avons des problèmes sur le
chantier des fouilles.
Je voudrais connaître vos raisons
profondes...
3 Nos
raisons pour faire quoi, Cheik Yoran ? demanda
Keifer, qui ne comprenait pas, ou hésitait à
comprendre le sens exact de la
question.
Je m'interroge sur les raisons qui vous
poussent à remuer cette terre appauvrie, à
déranger les
objets et les gens, à
troubler le sommeil de ceux qui sont morts jadis
et qui reposent à jamais parmi
dautre
s cendres... Je sais que vous, les occidentaux,
aimez déposséder la terre de ce quelle renferme
dessentiel. Saviez-vous quen la
dépouillant, vous nous volez ? Que vous nous
volez une partie de notre
passé ?
Non,
Cheik Yoran, nous ne volons personne. Nous sommes
venus pour découvrir, pour
apprendre
et pour comprendre doù vous venez et comment
vous êtes devenus ce que vous êtes.
-
Toujours cette prétention à vouloir vous immiscer
dans les affaires du monde ! rétorqua Yoran avec
un
reproche dans le ton. Jai de
grands projets pour mon pays, professeur, tandis
que vous, les Américains,
avez une
fâcheuse tendance à maintenir lArabie telle
quelle. Nous sommes un peuple très ancien.
Monsieur Keifer, et notre façon
dévoluer nous convient tout à fait.
Nous ne voulons
aucun mal à votre pays, Cheik Yoran, mais la
marche du monde est
inéluctable. Si
quelques inconscients dérobent notre matériel, il
nous retardent peut-être, ils nous
causent aussi quelques désagréments,
bien sûr, mais ils ne nous feront jamais
renoncer.
Je vous promets d'y réfléchir.
Lattention de Yoran séloigna à
nouveau, et Liam décela sur son visage la même
tristesse quil avait
surprise trois
jours plus tôt au cours du déjeuner sous la
tente.
La sonnerie du téléphone
sortit le vieil homme d
e sa
léthargie apparente. Il se leva avec une énergie
qui les surprit, et arracha le combiné du poste
avec
empressement. Ses yeux avaient
pris une teinte acérée et ses lèvres dessinaient
un mince trait dans son
visage
couvert de rides.
Malgré eux, ils
furent contraints découter la conversation.
Oui... Ah !
Cest vous, Linnemann... Mais où étiez-vous passé
? Comment va Irbit ?
Sa question fut
suivie dun long silence au cours duquel le
visage de Yoran se décomposa. 11 tenait
lappareil dune main hésitante. Son
regard, dabord abattu, prit soudain une lueur
d'une férocité
inimaginable.
La conversation se déroula alors
entrecoupée de monosyllabes et ponctuée d'ordres
brefs lancés dune
voix au
timbre rauque. Yoran prenait de temps
en temps quelques notes, mais Keifer et Liam ne
pouvaient pas
comprendre le sens des
paroles échangées dans le téléphone. Cependant,
une tension insoutenable se
dégageait
de cet entretien abrupt. Yoran était visiblement
bouleversé, vieilli de l'intérieur par une
douleur du genre de celles quon ne
peut partager. Lentretien reprit
ensuite.
Comment ça ? Irbit se méprend sur votre compte ?
4 Ne
bougez surtout pas ! Ne faites rien qui puisse
mettre sa vie en danger ! Rappelez-moi dans
deux heures. Vous avez compris 9
Il raccrocha le combiné et resta
immobile un instant, indécis, puis finit par
sarracher à ses fantômes
personnels
comme on se débarrasse dune armure devenue trop
lourde. Quand il s'approcha d'eux, son
regard était vide à nouveau.
Puis-je vous aider. Cheik Yoran ?
La voix fraîche de Liam eut leffet
de tirer le vieil homme de sa torpeur. Yoran se
tourna vers lui et sa
bouche se
tordit dans un rictus qui se voulait un sourire.
Merci,
jeune homme, mais je ne crois pas que...
Pourqu
oi pas, Cheik Yoran ? Vous navez rien à perdre.
Laissez-moi au moins essayer de faire
quelque chose pour vous.
Il ne savait pas en quoi il pourrait
laider, ni comment, mais il avait une furieuse
envie de se battre pour
la même cause
que cet inconnu quil venait de voir tour à tour
passionné et terriblement abattu.
Adversaire jusque là, Yoran lui
sembla tout à coup plus humain. En tout cas, Liam
avait envie de se
battre dans le même
camp.
Ma petite fille vient d'être enlevée, vous
comprenez, jeune homme ? Enlevée juste au moment
où elle venait vers moi pour
accomplir sa destinée !
Yoran,
hésitant à se livrer davantage, parut s'absorber
dans ses pensées. Pour une raison quil ne
discernait pas encore, il comprit que
le concours de ces étrangers pouvait savérer
bénéfique. Il se devait
au moins de
tout essayer pour sauver sa petite fille. Il
poursuivit alors
Comme vous êtes
encore un jeune homme, je vous raconterai un jour
une histoire, dit-il en posant sur
Liam un regard où se lisait toute la
science et la sagesse accumulées durant une
longue vie. Jespère que
vous
comprendrez alors les raisons qui mont poussé à
agir comme je lai fait. Dans l'intérêt général.
Pour la paix. Parce que je rêve de
lendemains meilleurs pour les miens et pour mon
peuple.
Je ne suis qu'un vieux fou,
vous savez ? Un fou qui a rêvé que le désert peut
se muer en verger, et
quune agréable
tiédeur peut remplacer la fournaise...
DEUXIEME PARTIE
LA MARCHE DES LOUPS
5 Herat (Afghanistan), le 2 septembre
Lentretien se déroulait dans une
pièce située au premier étage d'un immeuble
miteux, siège du
consulat iranien de
la ville dHerat, aux confins occidentaux de
l'Afghanistan.
L'Ayatollah Gazemi
était assis derrière un bureau encombré de
dossiers tenus par des bracelets, de deux
tasses à café ébréchées et d'un vieux
livre de prières en maroquin rouge, où
lAyatollah puisait ses
jugements
sans appel, quil voulait en parfaite conformité
avec la pensée du Prophète. Il y trouvait
invariablement un passage se référant
aux nombreux conflits de la vie de tous les jours
sur lesquels il
devait trancher.
LAyatollah Gazemi était un homme à
lair avenant, la cinquantaine largement entamée.
Il dégageait une
impression de
mansuétude, presque de résignation, qui trompait
ceux qui avaient le malheur de tomber
entre ses mains. Travaillant sous la
tutelle directe du service de propagande
islamique, les paroles de
lAyatollah
avaient force de loi.
Youssouf était
accouru à la convocation de son maître en ayant
langoissante sensation qu'éprouve une
vipère piégée par une mangouste.
Après les habituelles formules de
bienvenue, lAyatollah linvita à prendre place
et Youssouf sinstalla sur
une chaise
cannée aux mailles noires de crasse. Gazemi
commença alors son interrogatoire dune voix
doucereuse
Jespère, mon cher Youssouf,
que tu es en mesure de mexpliquer les raisons de
tes échecs
répétés...
Youssouf remua sur son siège.
L'entretien commençait à peine et il se sentait
déjà mal à laise.
Le groupe dintervention que javais
dépêché en France auprès de la porteuse du
Message était
censé me contacter une
fois leur mission accomplie, articula Youssouf en
avalam une salive aigre. Il ne
la
pas fait, comme vous le savez déjà, et nous avons
appris par la suite que la police française avait
découvert trois
cadavres
le long de la voie ferrée aux environs de la
ville de Mâcon. Bien entendu, comme ils ne
portaient aucun papier, ils n'ont pas
été identifiés.
Gazemi écouta ces
propos sans broncher, feignant une indifférence
qu'il était loin déprouver. Il donnait
limpression démerger dune
méditation profonde. Il prit le mince dossier qui
était posé sur son sous-
main et
demanda à son subordonné
Peux-tu me dire pour quelle
raison la jeune Irbit Al- Jazair a choisi de
faire un si long détour
pour se
rendre à sa destination finale, au lieu de
prendre simplement le premier avion 7
Nous
ne le savons pas encore, maître. En principe,
cette rallonge providentielle multipliait
dautant nos chances de
l'intercepter.
Youssouf conservait un
ton qui se voulait respectueux et soumis, mais
une lueur dinquiétude transpirait
parfois sur son visage. Il poursuivit
Si
mon équipe a échoué si près du but, maître, cest
parce qu'elle ignorait qu'un groupe inconnu
sintéressait en même temps que nous
au sort de la jeune Irbit. J'ai interrogé
personnellement l'Elue, et
6 je peux vous affirmer que le Message
ne se trouvait pas sur elle. Je suis persuadé
aussi que son père et
son grand-père
lont maintenue dans lignorance la plus totale
quant au rôle quil lui était dévolu.
L
Ayatollah Gazemi, qui connaissait son disciple
de longue date, jugea quil était opportun de
ménager
quelque peu la susceptibilité
de son interlocuteur.
Il est certain que nous ne sommes
pas les seuls à suivre les traces de l'Elue,
répliqua Gazemi en
balayant de la
main un ennemi imaginaire. Lenjeu, comme tu le
sais, est énorme. Nimporte qui peut
essayer de semparer de la jeune
Irbit Al- Jazair... Les Palestiniens, les
Israéliens, nos rivaux de toujours,
ces maudits sunnites, peut-être aussi
les Américains...
Youssouf était
conscient de la difficulté de sa tâche. Loin de
lintimider, les obstacles ne faisaient
quexciter sa soif de vengeance, mais
il était dans sa nature de calculer les risques
avant de préparer sa
riposte.
Vous
mavez toujours témoigné une confiance dont je
suis à peine digne, répliqua Youssouf
pour introduire la question qui
lintriguait depuis des jours. Mais j'ai besoin
den savoir un peu plus pour
affiner
une stratégie cohérente. Pour quelle raison
cette... Elue, est-elle si précieuse ?
LAyatollah Gazemi se leva de son
siège et fit le tour du bureau pour se placer
derrière Youssouf. Il
essuya avec un
mouchoir douteux un coin de la vitre de l'unique
fenêtre de la pièce et sabsorba dans la
contemplation du bazar qui sétirait
aux
pieds de limmeuble du
consulat.
La ville dHerat étalait sa
misère sans aucune complaisance. Un berger
portant le classique chapeau
aplati
afghan essayait de faire avancer au milieu de la
rue un maigre troupeau composé d'une dizaine de
chèvres et d'un mulet. Une humanité
disparate de mendiants, de réfugiés et de paysans
était agglutinée
sous le couvert de
quelques toiles rapiécées, étalant sur des
tréteaux des denrées entourées de
mouches.
Je vais te raconter une histoire,
mon cher Youssouf, qui, je lespère, te montrera
à quel point il
est indispensable que
nous soyons les premiers à nous emparer de la
porteuse du Message. Il sagit dun
fait véridique qui eut lieu à laube
de la religion musulmane.
Le regard
tourné vers un endroit imprécis de lhorizon,
Gazemi entama son récit d'une voix monocorde
"Après le schisme qui entérina la
séparation des musulmans en deux branches
distinctes, se réclamant
toutes deux
héritières du Prophète Mahomet, les chiites et
les sunnites, ces derniers persécutèrent avec
une violence inouïe les représentants
du parti dAli, c'est à dire nous, les chiites.
Ali, le propre gendre du Prophète,
fut assassiné par Nuawiyya, l'usurpateur, qui
s'appropria le titre de
calife et
fonda la dynastie des Omeyyades, dont la
frontière sétendit bientôt de Cordoue jusqu 'à
Samarkand.
Les
descendants d'Ali et de Fatima, son épouse, les
premiers imams, subirent aussi l'implacable
colère
sunnite. Douze dentre eux
furent ainsi mis à mort par leurs persécuteurs.
Ce fut un nouvel épisode de
cette
lutte fratricide qui fait couler depuis des
siècles des torrents de sang et qui a causé tant
de
souffrances aux martyrs de notre
cause.
7 L'Ayatollah marqua une pause et se
retourna vers son fidèle disciple. Connaissant
son naturel à la fois
réfléchi et
impétueux, il souhaitait lui faire comprendre à
quel point son rôle était déterminant pour le
devenir du peuple dAllah. Il
continua
"En l'an 874 de l'Hégire,
l'un des descendant en ligne directe dAli,
Medhi, était un garçon âgé de cinq
ans, insouciant du sort tragique que
les usurpateurs sunnites lui préparaient.
Au cours du massacre qui extermina
par lépée et par la flamme tous les membres de
sa famille, sans
distinction de sexe
ni d'âge, Medhi réussit à s'échapper. Sa fuite
éperdue le conduisit à la ville de
Samarra, dans l'Irak actuel, où il
chercha refuge.
Le bras exterminateur
des sunnites atteignit aussi ce havre illusoire,
obligeant le Medhi à se cacher dans
les grottes profondes que recelait la
montagne proche.
Mohamed Medhi
disparut à jamais du monde des vivants.
L'imagination chiite lui a réservé une destinée
peu commune d'après la tradition,
le Medhi, ce douzième imam, nest pas mort. Il
vit dans un univers
mystérieux et
reviendra un jour parmi les mortels pour fonder
le royaume du seul Dieu Véritable.
L'imam caché est notre seule
référence. Les ayatollahs, les mollahs, tous les
représentants sur terre de
la foi
chiite doivent oeuvrer pour préparer la voie du
retour de cet Imam caché. Il est notre ultime,
notre
seul recours. "
- Vois-tu, Youssouf, enchaîna Gazemi
après un instant de silence, notre tradition
séculaire veut que, tel
le Jésus des
chrétiens qui naquit de Marie, le Medhi, notre
Imam caché, renaisse un jour du ventre pur
dune jeune vierge, et cette vierge
nest autre que l'Elue. qui doit nous transmettre
le Message.
Ainsi notre foi régnera
sans partage sur la terre et sur les hommes,
effaçant à jamais l'hérésie sunnite
et terrassant la
dominatio
n impie des infidèles.
LAyatollah
Gazemi retourna sasseoir sur son vieux fauteuil
en cuir. Son visage grisâtre semblait rajeuni
par une force inconnue.
Si
jai bien compris le sens profond de vos paroles,
maître, répliqua Youssouf, la jeune Irbit
serait donc...
Elle n'est autre que l'Elue,
la porteuse du Message, linterrompit Gazemi
d'une voix creuse. Sa
vie nous est
plus précieuse que tout ! Elle sait où elle doit
se rendre, car lheure est venue, mais elle
ignore pourquoi et, surtout, elle
ignore ce quelle représente.
Je te
lai dit, Youssouf, son corps et son esprit sont
purs et doivent le rester !
Ne vous inquiétez pas,
maître. Je vous la ramènerai au plus tôt pour que
son destin
saccomplisse.
"
La takaya, maître, poursuivit Youssouf,
subitement inspiré. Pour terrasser les grands
satans, il nous
suffit demployer
l'ancien art chiite de la négociation la
takaya. Un mélange parfait de secret et de
compromission.
8 Il faut
que tout soit clair entre nous, Youssouf, lui dit
Gazemi en levant l'index de sa main droite.
Tu vas te lancer dans cette
entreprise seul ou presque. Tu comprends bien, je
l'espère, quil est hors de
question
que tu trouves un quelconque soutien auprès des
instances officielles de notre pays.
Le Majlis1, ainsi que les organismes
dépendants du Ministère de lIntérieur, ignorent,
et doivent ignorer
jusquau bout,
lexistence de l'Elue ainsi que notre tentative
de nous en rendre maîtres.
Tu seras
seul, répéta-t-il en martelant ses mots, mais tu
pourras compter sur le concours de certaines
filières réparties à travers le
monde. 11 s'agit de circuits extrêmement fermés.
Ils pourront peut-être
taider, mais
ils ne doivent pas savoir dans quel but ils le
font. Est-ce clair ?
Cest entendu, maître. Il en sera
ainsi. Mais, qui connait le contenu du Message
?
Personne ne le connait, sauf Yoran Al-Jazair,
bien sûr. Nous savons seulement que sil sen
empare, le triomphe de la
'Parlement iranien.
seule foi véritable sera retardé de
mille ans, peut-être pour toujours. Souviens-toi
que je veux que tu me
ramènes LElue
vierge de toute souillure. Même si tu dois y
laisser ta vie...
Après un silence
lourd de sous-entendus, lAyatollah se laissa
aller à son discours favori et récita dun
ton monocorde
- Noublie
jamais que le Coran nous a enseigné que As
salatu kheirun, mi an-nawn (mieux vaut la
prière que le sommeil). Va,
maintenant, et que Allah le Tout-Puissant guide
tes pas.
Et de cette union
contre-nature entre la vipère et la mangouste,
naquit lune des plus redoutables
menaces que le monde eut connu.
Djeddah, port de la Mecque, le 12
septembre
Irbit était incapable de se
souvenir depuis combien de jours durait le
voyage. Peut-être deux, ou peut-
être
trois, mais elle était loin den être sûre. Elle
nétait plus sûre de rien, dailleurs. Seulement
de sa
peur, de son angoisse et de sa
souffrance.
Après son enlèvement à la
porte de la cantine, quelquun l'avait couché de
force sur la banquette de la
voiture.
Tout de suite après, lun de ses agresseurs lui
avait ligoté les mains et les pieds avec une
corde
grossière et lui avait bandé
les yeux avec un tissu opaque.
A
partir de cet instant, la douleur des coups
reçus, la faim, la soif et la honte
sentremêlaient dans un
flou total.
Irbit avait connu en quelques jours une gamme
nouvelle de sentiments, selon un rythme qui
lui était imposé. Une allure
infernale quelle avait dû suivre, impuissante.
Et son coeur en garderait
toujours
les traces. Parce que le sceau de l'infamie ne
sefface jamais.
Ce n'est qu'après une
étape particulièrement épuisante que quelqu'un
décida quil était temps de faire
une halte. On la tira dehors du
véhicule et on consentit à lui libérer les pieds
juste le temps de la mener
un peu à
lécart. Elle avait les yeux toujours bandés.
Irbit se rappelait que le terrain était plat et
sablonneux.
Elle entendit
une voix lui demander Si tu veux te soulager,
cest le moment... Alors, tu te décides ?
9 Elle nia de la tête et sentit la honte
empourprer ses joues. Un individu, peut-être
plusieurs, se tenaient
auprès delle.
Elle le savait. Elle pouvait presque le sentir.
Lidée même de se soulag er dans ces
conditions lui parut intolérable.
Après son refus, on la ramena à la voiture et
lun de ses kidnappeurs la
bâillonna
avec un chiffon au goût de poussière. Les pieds à
nouveau ficelés, elle fut jetée dans une malle
ou dans une caisse qui sentait le
poisson et on lenferma dans le coffre de la
voiture.
A partir de là, les bruits
lui parvenaient amortis par une double cloison,
l'air manquait et la chaleur avait
redoublé. Elle avait du mal à
respirer et sétouffait parfois.
Les
heures sécoulèrent alors avec une lenteur
exaspérante. Ses lèvres étaient gercées, et elle
narrivait
pas à remuer sa langue
desséchée. Irbit sommeillait par moments, mais
elle finit par être incapable de
distinguer le sommeil de létat de
veille.
A un moment donné, elle prit
conscience que son dos et ses cuisses étaient
mouillés. La première idée
qui lui
vint à l'esprit fut quelle nageait dans une
mare. Irbit simagina que le précieux liquide
soulageait
enfin sa peau fatiguée.
Cependant, la puanteur acide de l'urine lobligea
à revenir à la réalité. Pendant
son sommeil, au milieu d'un cauchemar
ou durant une absence, Irbit sétait oubliée...
Et, comme jamais
auparavant, le
désespoir la gagna. Sa gorge émit un gémissement
étouffé par le bâillon
Le voyage se
poursuivit entrecoupé de haltes où parfois on
lextirpait de sa cache. On lui donna à
manger une sorte de couscous composé
de semoule et de raisins secs. De temps en temps
elle pouvait
boire à volonté. Ses
ravisseurs, quels qu'ils soient, tenaient à ce
qu'elle conserve des forces.
Comme
les étapes et ses repas se succédaient sans
régularité et que ses yeux étaient toujours
bandés,
Irbit perdit très vite toute
notion du temps. Le jour et la nuit navaient
plus aucun sens. Elle vivait dans
l'attente d'un nouvel arrêt, soutenue
par lespoir qu'un jour ou lautre quelqu'un
volerait à son secours
et la
délivrerait..
Elle devait conserver
sa lucidité coûte que coûte. Pour connaître ce
moment. Et pour se venger.
H4
Après une traversée en bateau, le
voyage prit fin un soir aux abords d'une grande
ville. Quand Irbit fut
extraite de sa
cage, la température sétait rafraîchie et elle
entendait au loin le bruit de fond
caractéristique d'une cité
importante.
On lui détacha une
nouvelle fois les pieds et quelquun la guida à
travers une cour au sol carrelé. Irbit
grimpa tant bien que mal une série de
marches et franchit le seuil d'une maison qui
sentait le renfermé.
Une main rude
lobligea à emprunter l'escalier qui menait à
l'étage et la poussa sans ménagements à
lintérieur dune pièce. La porte
d'accès fut verrouillée dans son
dos.
Irbit, se croyant seule, soupira
enfin avec une sorte de soulagement. Des jours
durant, son corps avait
subi la
fatigue et les cahots de la route. Son sang
circulait librement à nouveau et ses extrémités
fourmillaient, comme traversées par
de minuscules aiguilles à leffet
vivifiant.
A ta place, jen profiterais pour prendre un
bain tout de suite ! dit dans son dos une voix
virile.
Irbit sursauta, à nouveau
tenaillée par la peur, mais la colère lemporta
enfin.
Je ne peux pas me laver avec les yeux bandés,
vous devriez le comprendre !
10 Tu as
raison. Je vais arranger ça. répondit la voix
d'homme. Mais, attention ! Ne te retourne
sous aucun prétexte. Tes mains
resteront attachées devant toi. Il faudra faire
avec...
Comme l'homme voyait qu'Irbit
nesquissait pas le moindre geste, il ajouta
Ne
t'en fais pas. Personne ne viendra te déranger
pendant que tu te laves. Tu trouveras une
serviette et un morceau de savon
dans la salle de bains sur une
étagère, à droite en rentrant.
La
lumière dune ampoule nue qui pendait au plafond
meurtrit ses yeux quand il lui enleva le bandeau.
Elle fut obligée de les refermer
avant dentrouvrir doucement ses paupières.
Quelques instans plus tard,
elle
pénétra dun pas hésitant dans la salle de
bains.
Et une odeur aigrelette, son
odeur, chatouilla désagréablement ses narines.
Irbit passa la nuit
avec le bandeau sur les yeux et le poignet gauche
ligoté au montant de son lit.
Auparava
nt, on lui avait apporté une cuisse de poulet
accompagnée dun morceau de pain et d'une
orange sanguine. Comme sa tunique
était déchirée et sale, elle avait gardé la
serviette de bains enroulée
autour du
corps.
Le lendemain matin, on lui
accorda juste le temps de prendre un petit
déjeuner composé dun verre de
lait
de brebis et dune galette. Ses ravisseurs
étaient pressés, et son interrogatoire commença
tout de
suite.
Deux
hommes étaient rentrés dans la chambre. Irbit les
entendit sentretenir en arabe. Lun deux
avait
une voix de crécelle, tandis que
celle du deuxième était posée, non exempte
d'autorité. Leur
conversation dura
quelques minutes. Ensuite, celui qui donnait
limpression de diriger l'entretien finit
par dire
Bon. Tu peux y aller, Larbi.
Fouille-la. Partout.
Le dénommé Larbi
sapprocha du lit et marqua un arrêt avant de
commencer sa fouille. Le drap moulait
les formes d'Irbit comme si elle eût
été nue. Emoustillé, Larbi laissa senvoler son
imagination et
apprécia l'occasion
qui lui tombait sous la main. Il avait à sa merci
une jeune fille de toute beauté. Pour
un habitué de prostituées fanées et
malodorantes, laubaine était plus que rare
elle était unique.
Alors, tu te grouilles ?
Patien
ce ! Jaime bien prendre mon temps.
Lar
bi fit glisser le drap avec une lenteur calculée
jusquau ventre de la jeune fille et sattarda un
moment, loeil pétillant et la lèvre
humide.
Son regard épousa la courbe
des mollets, admira la petite fossette des genoux
et remonta le long des
cuisses à la
peau ambrée. Son exploration sarrêta à la
hauteur de la serviette de bains.
Horri
fiée, Irbit sagita et serra les jambes de toutes
ses
forces.
11 Mais
elle est farouche, la garce ! ricana Larbi en
empoignant la serviette à deux mains.
Il tira d'un coup sec et Irbit se
trouva entièrement exposée au regard lubrique de
son tortionnaire.
Instinctivement, le
bras droit de lElue, qui nétait pas attaché,
tenta de cacher ses seins et sa main se
posa sur son pubis pour protéger son
intimité.
Elle est timide aussi, cette salope ! Ne
crains rien, je ne te ferai aucun mal... Au moins
pour
linstant, ajouta Larbi,
perfide. Tu as entendu ce qui ma dit Youssouf ?
"Fouille-la Tu l'as entendu, non ?
Alors, ma colombe, Larbi va tout
simplement te fouiller...
Un frisson
de dégoût secoua Irbit de la tête aux pieds. Le
contact de la main de son tortionnaire
électrisait sa peau comme si une
vipère était venue se frotter le long de sa
jambe.
Sa réaction excita Larbi. On
lui avait dit de chercher, et de trouver, le
précieux Message. LElue devait le
porter sur elle. Alors, il le
trouverait. Une deuxième équipe avait suivi
lautocar de la ligne Le Caire-Suez
et avait récupéré les bagages dIrbit
et de sa nurse. Ils avaient tout mis en pièces,
décollé les étiquettes,
déchiré les
doublures et palpé chaque centimètre carré de
tissu sans aucun résultat. Le message, si
message il y avait, ne pouvait être
caché que dans le corps de la jeune fille.
Larbi commença sa besogne par les
pieds. Il écarta les orteils un à un, avec
méthode, à la recherche
dune capsule
ou d'un micro-film suffisamment petits pour
http//extraction-de-donnees-
1.blogspo
t.com/2016/02/extraction-de-donnees-dans-excel-33.
html
pouvoir se glisser dans les
interstices. N'ayant rien trouvé, il palpa les
mollets depuis les chevilles
jusquau
creux des genoux sans aucune conviction. Juste
pour le plaisir.
Quand la main de
Larbi se posa sur une cuisse, Irbit éclata de
dégoût autant que de rage. Elle plia les
jambes et les remonta dun coup pour
repousser celui qui était en train de la souiller
avec ses doigts
sales. Son genou
frappa violemment la mâchoire de Larbi, qui se
mordit la langue jusqu'au sang et
recula, surpris par la douleur.
Ça,
tu vas me le payer, salope ! réussit à articuler
Larbi en sessuyant les lèvres avec le revers de
la main.
Le coup de poing
cueillit Irbit à la pommette, juste en dessous de
loeil, et la jeune fille sentit son esprit
vaciller. Son regard se voila et sa
bouche devint pâteuse.
Youssouf se
précipita vers son acolyte et le poussa en
arrière dune bourrade.
-Arrête !
Pourquoi l'as-tu frappé, imbécile !
Et
alors, qu'elle crève ! répondit Larbi dune voix
saccadée.
Et si le Message ne se trouve pas sur elle,
comment pourra-t-elle nous dire où il est caché,
si tu
lenvoies dans les pommes
?
Larbi recula de deux ou trois pas
encore et son dos buta contre la porte,
essoufflé.
Daccord, tu as raison, concéda-t-il. Mais,
dès quelle sera réveillée, tu me laisseras
faire. Elle est
à moi, tu comprends ?
Mais sois tranquille, je ne vais pas la tuer.
Mais je tassure que cette putain
crachera son secret, où quelle lait
gardé !
12 Quand Irbit reprit connaissance
quelques minutes plus tard, elle essaya de se
plier pour soulager
quelque peu son
corps endolori, mais ses bras et ses jambes
étaient à nouveau fermement ligotés. Un
liquide chaud coulait de son nez et
lui glissait dans le cou.
Des mains
inconnues étaient en train d'explorer le haut de
ses cuisses. L'Elue se mit à pleurer en serrant
les dents pour sempêcher de crier.
Elle aurait voulu être un homme pour avoir la
force de défaire ses
liens,
darracher la corde qui la maintenait prisonnière
et de se venger de ces brutes.
Elle
éprouva un réel plaisir en pensant à ce châtiment
imaginaire. Et, pour la première fois de sa vie,
presque par inadvertance, Irbit
connut un sentiment qui ne l'avait même pas
effleuré jusquà là la
haine.
Une main fureteuse senhardit entre
les plis secrets de son intimité. Le cri dIrbit
fit couler de nouvelles
larmes sur
ses joues déjà humides. Elle secoua son bassin de
toutes ses forces pour se soustraire à cette