Title: Correction financi
1Correction financière ou changements de
structure économique? Enjeux et marges du choix
dans la perspective de la Conférence de Beyrouth
- Charbel Nahas
- Beyrouth, le 10 avril 2006
2Les termes réforme ou changement et le
contenu évidences ou choix
- Doù vient le discours sur les réformes
économiques ? - Filiation générale les réformes sont attachées
à la sortie des modèles déconomie planifiée. Or
le Liban présente un cas extrême de libéralisme
économique, cétait déjà le cas à lépoque où la
mode allait dans le sens inverse (régime de
change, des capitaux, etc.). - Lappel à une Conférence de Beyrouth a été
lancé dès le début de 2004, suite à
lessoufflement de lexpérience de Paris 2 et
par opposition à son approche de lextérieur - Plus actuellement, le Liban vit une période
charnière mais entre quoi et quoi ? quest-ce qui
sachève la réponse nest malheureusement pas
claire en politique, le serait-elle en économie? - De manière plus neutre et plus objective, le
terme de réforme est utilisé pour qualifier
positivement tout changement de politique.
Malheureusement, la politique qui doit être
changée nest pas encore identifiée
3Les termes réforme ou changement et le
contenu évidences ou choix
- Quels sont les motifs dun changement dans la
politique économique - Sagit-il de faire face à une nécessité
impérieuse et un besoin urgent comme lors de
Paris 2 ? Les marchés financiers accusent une
santé insolente. - Sagit-il de capturer un momentum particulier
pour réaliser des actions volontaires attendues
et programmées ? mais quelles sont-elles ? qui en
sont les protagonistes ? et où étaient-ils jusque
là ? - Sagit-il de refléter des modifications dans les
alliances politiques ? mais quels groupes
politiques disposent de programmes économiques,
même minimaux, qui sortent du consensus flou que
nous connaissons tous ? et quelle alliance
politique peut prétendre détenir un projet de
gouvernement ? - Sagit-il dadaptations à des changements dans
lenvironnement ou à des pressions extérieures ?
bien au contraire, la flambée du pétrole et
lappui international sont présentés comme une
aubaine....
4Les termes réforme ou changement et le
contenu évidences ou choix
- Sagit-il de changement ou dun sursis nouveau
pour le système en place ? Changement signifie
amendement ou sortie dun système. - Dans toute perspective de changement, il y a
nécessairement alternative, avec des gains et des
pertes, des gagnants et des perdants, passage
dun compromis et dune règle à dautres ? Dans
la recherche de sursis, il ny a pas besoin
dexpliciter les alternatives, ce serait même
dangereux. - Lhistoire économique récente du Liban a toujours
été présentée et le plus souvent vécue comme une
suite dorientations sans alternative, quoique
ces orientations soient souvent contradictoires
reconstruction, relance, austérité, réformes... à
chaque fois, par contre, il est question de
blocages mais ces blocages ne seraient que le
fait dune mauvaise foi sans projet les bons et
les méchants se retrouvent sagement alignés en
deux rangs. - Les évolutions sont apparues non comme des
changements débattus mais comme des adaptations
opportunistes silencieuses à la logique du système
5Les termes réforme ou changement- et le
contenu évidences ou choix
- On ne peut que déplorer quaujourdhui encore,
les arbitrages et les choix naient pas été
explicités. Ils nont pas été assumés et traduits
dans les formes légales pratiques (programme
ministériel ou budget 2006) et dans les délais
constitutionnels impartis.
6Teneur du texte officiel
- On reconnaît trois niveaux de propositions dans
le texte - des intentions générales (développement, filets
sociaux, etc.), - des titres non développés non quantifiés et non
datés (impôt sur le revenu, fonction publique,
etc.) - et des actions précises et datées (la TVA, les
impôts sur les intérêts, les carburants, le
blocage des salaires et de lembauche dans le
secteur public et la privatisation de la
téléphonie)
7Teneur du texte officiel
- Mais lapproche globale est plus complexe
- Si lon ne retenait que les propositions
explicites du texte, il ny aurait nul besoin
dune conférence internationale - Lobservation des versions successives et la
connaissance des débats antérieurs et actuels
permet de reconnaître les lignes de différence,
le dit, le non dit et les traces de censure et
dauto-censure - On peut ainsi lire dans la démarche un mécanisme
emboîté en surface, une approche financière
simple et en profondeur une approche politique
élaborée
8Lapproche financière
- Les actions concrètes énoncées portent
directement sur un ajustement fiscal
classique dont la validité présuppose un
diagnostic et des hypothèses précis en amont - 1- Le mal essentiel tient à la dette publique
il est donc nécessaire de réduire le ratio dette/
PIB, cela signifie - que la dette bloque la croissance (car elle fait
monter les taux du fait de lappréciation des
risques) et quune dette plus faible la
relancerait (en faisant baisser les taux) - et que la dette procède de faits exogènes non
répétitifs sans quoi elle serait elle-même
conséquence de facteurs quil faudrait traiter en
priorité
9Lapproche financière
- 2- Il est possible et donc suffisant de réduire
le ratio dette/ PIB par la réalisation
dexcédents primaires et par les privatisations,
cela suppose - que, connaissant le point de départ, le point
darrivée raisonnablement espéré induise un
changement qualitatif dans le risque financier - quil soit économiquement possible de réaliser
effectivement les performances escomptées (en
termes nets, hors manipulations bilancielles et
intertemporelles) au niveau et sur la durée
nécessaires - que leffet confiance induit par cette
politique sur la croissance soit supérieur à ses
effets keynésiens - et que ce soient la maximisation du montant
collecté et la minimisation de son délai de
collecte qui soient décisifs ce qui signifie que
le système fiscal (imposition et dépenses) induit
des distorsions économiques et sociales limitées
et tolérables.
10Lapproche financière
- Au vu des données réelles et complètes sur létat
consolidé des finances publiques, ces deux
présupposés sont éminemment discutables
11La logique politique de laction
- En tant que telle, lapproche fiscale peut
difficilement emporter la conviction - son contenu est modeste,
- son opportunité est incertaine (le risque
financier est faible, les effets escomptés sont
déjà réalisés et la capacité dapplication est
limitée, etc.). - de plus son ampleur ne justifie pas le caractère
international de la formulation et de
lévénement.
12La logique politique de laction
- Une approche politique plus complexe vient
instrumentaliser lapproche technico-financière. - Elle sappuie sur lexploitation et la mise en
résonance dun double mécanisme politique
intérieur et extérieur - les joueurs de lintérieur seraient séduits par
la promesse des dons extérieurs et par la
préservation de lessentiel de leurs acquis et
craindraient, sils sy opposaient, dêtre
stigmatisés et/ou de perdre leur mise - les joueurs extérieurs serait séduits par
ladhésion à leurs schémas de pensée et à leurs
intérêts supposés et craindrait, en cas déchec,
loccurrence dévénements politiquement néfastes
à leurs intérêts.
13La logique politique de laction
- Dans ce mécanisme, lissue réellement espérée ne
peut aller aux extrêmes et devrait se traduire
par un équilibre au terme duquel - cest la dimension politique de ladhésion
externe qui serait amplifiée (cest leffet
conférence internationale), - limplication financière de lextérieur pourrait
rester limitée du fait de lamplification sur le
marché domestique des capitaux de leffet
dannonce de ladhésion politique externe - et la dose de changement institutionnel interne
serait à son tour réduite du fait du succès
combiné de laide extérieure et de son
amplification locale.
14La logique politique de laction
- Au bilan, derrière la forme simple du texte et du
thème de la réforme économique , se développe
un mécanisme politico financier complexe dont
lobjectif est dacheter un sursis au modèle
économique en place.
15Gérer les coûts et les choix ou gérer le temps
et les occasions
- Si léconomie est lart de gérer les moyens pour
atteindre des objectifs partagés ou imposés
(croissance, équité, stabilité dun régime
politique, guerre, reconstruction, etc.) elle
tourne naturellement autour des notions de coût
et de choix. - Si lobjectif recherché au Liban depuis Taëf est
la croissance et ce quelle est supposée apporter
en termes de consolidation socio-politique du
pays, le résultat est déplorable - une fois le rattrapage achevé, la production a
stagné malgré les investissements consentis
durant la reconstruction et les ressources
mobilisées - la situation des entreprises en termes de
productivité, de solvabilité, voire de survie,
est préoccupante - lémigration sest amplifiée jusquà dépasser les
rythmes de la période de guerre, - les phénomènes de précarité, dexclusion et
dinféodation clientéliste et partisane se
répandent - la légitimité de lEtat est remise en question.
16Gérer les coûts et les choix ou gérer le temps
et les occasions
- On peut concevoir que leffort ne tende pas vers
la réalisation dun objectif positif désiré - mais vers léloignement dans le temps dun
événement craint et que lon appellera
conventionnellement crise - bien quune crise qui séternise ne puisse pas
vraiment prétendre à cette appellation. - Cet événement peut être la guerre civile ou
leffondrement économico financier, deux issues
dont les Libanais gardent une mémoire vivace et
quils perçoivent, spontanément ou du fait de
manipulations diverses, comme des menaces
permanentes et actives. - Dans cette perspective, la question nest plus de
maximiser la production avec des moyens donnés
mais de maximiser le temps du sursis, à niveau de
vie donné. - Et là, le succès est exceptionnel.
17Gérer les coûts et les choix ou gérer le temps
et les occasions
- On peut reconnaître dans les comportements la
coexistence de ces deux logiques, avec une
prévalence pour la seconde. - Cette prévalence a commencé à sinstaller en 1997
avec le ralentissement de lactivité et
lassombrissement de lhorizon politique
régional. Pourtant la tentative de correction de
1998-1999 a été durement combattue et le
diagnostic qui menait à sa nécessité a été
violemment récusé, M. Azour qui a activement
participé, à nos côtés, à cette tentative, na
la certainement pas oublié. Et jusquen 2001,
lors de la visite de M. Wolfenson, M Hariri
récusait lidée même dune crise possible ou
probable liée à la dette et au déficit publics.
Cest la crise larvée et non reconnue de
2001-2002, crise à la fois financière et
politique dailleurs, qui a définitivement fait
pencher la balance. - Depuis, les Libanais se plaisent, non pas à
ignorer ces menaces comme pourrait le laisser
croire une lecture superficielle de leurs
comportements et une appréciation peu flatteuse
de leur intelligence, mais à les exagérer jusquà
en faire des apocalypses, innommables et
indescriptibles. Cette perspective les pousse à
des stratégies de fuite individuelle, par
lémigration ou lacquisition de nationalités de
recours, par la prise inconsidérée de risques à
certains moments ou par un conservatisme résigné
et apeuré à dautres.
18Evaluation des politiques économiques
- En admettant cette double dimension, que devient
léconomie et comment évaluer une politique
économique particulière, quelle se drape ou non
du qualificatif de réforme ? - Il nest pas facile dévaluer les politiques
économiques dans ce contexte - comment intégrer les deux faces, positive et
négative, de la réflexion et du comportement
économiques ? - comment réconcilier les fins et les moyens ?
- comment tenir compte de la différence dhorizon
temporel dans lévaluation des alternatives, une
fois quon les aura dégagées ?
19Evaluation des politiques économiques
- Toute politique économique a nécessairement une
influence sur trois grandeurs - le délai de report de la crise , ou la
réduction, à court terme, de sa probabilité - latténuation ou lamplification du coût de la
crise ou de la sortie du système sur
léconomie et sur la société - et le gain réalisé ou perdu en termes de
production de richesses.
20Evaluation des politiques économiques
- Il est très difficile de gagner sur les trois
registres, les politiques possibles doivent
sacrifier ici pour gagner là. De manière
synthétique, elles peuvent chercher à - Gagner du temps pour améliorer les conditions de
sortie et en aménager les voies quitte à aggraver
le coût de la crise reportée pour les plus
faibles et à entraver la production (cela est
rendu par lexcès de liquidité et à travers la
manipulation des risques, la titrisation et
des privatisations de monopoles publics jouent
dans ce sens). - Utiliser le temps pour minimiser le coût de la
crise ou de la correction et accroître les
capacités de production quitte à affronter le
risque et les coûts de la crise ou du
changement .
21Evaluation des politiques économiques
- Notons que
- la valorisation dune politique économique et
financière donnée peut sexprimer par limpact
quelle peut avoir sur la variation de ces
grandeurs et non sur leur valeur de départ quil
faut avoir le courage de reconnaître. - entre les questions de solvabilité et de
liquidité, la différence est moins dans les
conséquences car les problèmes dinsolvabilité ne
se manifestent quà travers les problèmes
dilliquidité, que dans le diagnostic et dans le
traitement. Que fera le FMI appelé par M
Feltman ? et à quoi devront servir les fonds
extérieurs ?
22Lecture des choix et des enjeux sur le plan de
lactivité économique
- Or ces grandeurs production, sursis et coûts ne
sont pas indépendantes. - A titre dexemple, le choix daccumuler les
passifs cachés peut favoriser la confiance
des marchés et retarder une crise mais au prix
den alourdir indiscutablement le coût éventuel.
Il en va de même de la cession de revenus futurs
à laquelle se réduit lessentiel des opérations
prévisibles de privatisation. - Le débat sur les chiffres relève de cette
logique. - Cela met en valeur la notion darbitrages mais
aussi celle de modèle, le modèle exprimant les
relations entre ces trois principales grandeurs. - Cest ce que la première session de ce séminaire
consacrée aux entreprises et à la croissance
va tenter déclaircir.
23Lecture des choix et des enjeux sur le plan de
la société
- Les différences de lecture des politiques
économiques concernent les faits économiques mais
aussi les représentations, les espérances et les
craintes, il y a de plus les différences de
valeurs. - Ces valeurs ainsi que les espérances et les
craintes collectives sont des faits sociaux
fondamentaux. - Limportance relative quune société accorde à
lavenir proche comparativement à celle quelle
accorde à lavenir plus lointain implique des
choix et des comportements différents. - Comment la politique économique répond elle à ces
besoins sociétaux ? - Ce sera lobjet de la deuxième session de ce
séminaire, consacrée au processus de transition
sociale si tant est quil y ait volonté de
sortie du modèle en place, avec ses blocages et
ses dangers. - Car sa pérennité na pas manqué de créer des
inerties et daccumuler des rigidités dont le
dépassement ne se fera pas sans peine, à moins de
consacrer des moyens considérables à accompagner
la transition pour en réduire les coûts
économiques et humains.
24Lecture des choix et des enjeux sur le plan de
lEtat et de sa place
- La réponse aux attentes collectives est
essentiellement le fait de lEtat. - On observe au Liban
- une dualité marquée entre les solutions privées
et les solutions publiques, - une imbrication malsaine entre les sphères des
intérêts privés et publics - ainsi que limportance inquiétante des structures
subétatiques diverses, partisanes communautaires
ou autres qui constituent des mécanismes de
défense et de substitution aux fonctions
essentielles de lEtat. - Face à cette situation
- quelle forme dEtat est impliquée par telle ou
telle politique économique ? - la politique économique tend-elle à combler le
déficit dEtat ou au contraire à maintenir lEtat
dans des attributions subsidiaires ? - La troisième session du séminaire sera consacrée
au sujet de lEtat et des services publics .
25La gamme des possibles
- Les questions posées sont graves, et dautant
plus graves que les développements survenus
depuis un an nous portent à croire que la
capacité du Liban à tirer profit des
développements positifs externes survenus
récemment nest guère supérieure à sa capacité de
résister aux développements négatifs. survenus
dans le passé ou susceptibles de se produire à
lavenir. - Il sagit du dépérissement dun Etat et, pendant
quon réussit à retarder, phase après phase, une
crise dont personne ne semble avoir le courage
den reconnaître la teneur, du dépérissement
dune société et dune expérience historique
riche. - La résilience incroyable à la guerre puis à la
dette porte à reconnaître lextrême stabilité
dun équilibre à un bas niveau. Faut-il chercher
à le perpétuer et utiliser pour cela le capital
politique limité dont disposent les différentes
forces politiques libanaises ainsi que laide
extérieure que les amis du Liban pourraient
lui allouer, encore une fois ?