Title: LE FRAN
1LE FRANÇAIS ET LES LANGUES GABONAISES, DU
PARTENARIAT AU LINGUICIDE ANALYSE DES DONNÉES
DES ENFANTS A LIBREVILLE
- Pr. Daniel Franck IDIATAUniversité de Libreville
(Gabon)
2Situation démo-linguistique du pays
- Le Gabon est l'un des pays de la sous-région
d'Afrique centrale à faible population par
rapport à la superficie du pays. Le dernier
recensement estime, en effet, la population
gabonaise à environ 1,2 million d'habitants pour
une superficie de 267.667 km2. L'une des
caractéristiques principales du pays est la forte
urbanisation près des 3/4 des Gabonais vivent
dans les villes ou dans les périphéries de
celles-ci. A titre d'exemple, Libreville, la
capitale du pays, compte à elle seule plus de 50
de la population nationale.
3Complexité ethno-socio-linguistique
- L'état actuel des données de terrain montre deux
choses importantes. Tout dabord, une mobilité
des populations qui réoccupent lespace et,
ensuite, une dynamique et un mixage importants de
ces populations ce qui entraîne nécessairement
une instabilité au niveau des identités. Il
apparaît, en effet, que nombre d'individus ont,
en réalité, par leur filiation et par l'influence
qu'ils peuvent subir de leur partenaire
matrimonial et de leur habitat, plusieurs
identités ethniques et sont susceptibles de
parler plusieurs langues vernaculaires.
4Objectif de létude
- Notre étude s'inscrit dans le cadre du projet
évaluation de l'acquisition et de la vitalité
des langues vernaculaires gabonaises chez les
enfants en milieu urbain . Je présente les
résultats d'une enquête préliminaire que mes
étudiants et moi-même avons menée auprès de 3600
sujets, à savoir, 1200 enfants de 7 à 12 ans et
leurs parents (environ 2400 individus) à
Libreville, pour évaluer le niveau de
transmission des langues vernaculaires chez les
enfants.
5Contexte particulier du Gabon
- Toutes les études, quelles se fondent sur des
critères sociolinguistiques ou psycholinguistiques
, saccordent sur le fait que les langues
gabonaises sont des langues en danger . Les
raisons principales sont (1) la très faible
démographie des communautés ethniques donc, par
voie de conséquence, le nombre très limité des
locuteurs pour chacune des langues vernaculaires,
(2) lurbanisation des populations et (3) le
bilinguisme dinégalité avec le français, la
langue officielle du pays.
6Létude se propose de répondre à quatre questions
cruciales
- Les langues des communautés ethniques sont-elles
transmises aux enfants vivant dans les villes, à
Libreville dans le cas qui nous concerne ici ? - Dans les cas dune transmission, donc une
acquisition de ces langues par les enfants, il
sagit de savoir quelle place est réservée à ces
langues dans la communication quotidienne ? - Dans les situations de bilinguisme entre la
langue de la communauté et le français, quel est
le statut de chaque langue chez les enfants ? - Le niveau de transmission et la place de ces
langues dans la communication quotidienne chez
les enfants vivant en zone urbaine peuvent-ils
garantir la vitalité, donc la survie de ces
langues à plus ou moins long terme ?
7Hypothèses
- H 1 Les langues gabonaises ont un degré de
vitalité plus important au village plutôt qu'en
ville. - H 2 Par sa structure diversifiée, en termes de
populations de langues, la ville tue les
langues vernaculaires (Cf. théorie de Louis-Jean
Calvet).
8Hypothèses (suite)
- H 3 Les enfants issus dun mariage mixte (de
parents appartenant à des ethnies distinctes) ne
vont, en majorité, acquérir que la langue d'un
seul parent. - H 4 Les enfants qui sont coupés du village,
principal lieu dimmersion linguistique, vont
perdre la langue du ou des parents, et vont
rompre la chaîne de transmission
intergénérationnelle.
9Hypothèses (suite et fin)
- H 5. Certaines ethnies, pour des raisons
diverses, perdent plus rapidement leur langue,
alors que, pour dautres ethnies, plus robustes
sur le plan culturel et surtout démographique, la
langue aura un degré de vitalité plus important.
10Sujets
- 1200 enfants de 7 ans à 12 ans
- 2400 parents (deux parents par enfant, le père et
la mère ou les tuteurs).
11Corpus
- Données quantitatives
- Enquêtes sociolinguistique basée sur trois
questionnaires de 20 questions chacun (un pour
lenfant, un pour son père et un pour la mère). - plus de 60.000 réponses
12Points principaux des trois questionnaires
- Langues parlées dans différents contextes (à la
maison, à lécole, au marché, etc.) - Langues parlées avec les différents
interlocuteurs de lenfant (père, mère, frères et
sœurs, camarades de jeux, grands-parents, autres
parents et amis de la famille) - Chacune des langues parlées est utilisée à quelle
occasion et pourquoi ?
13Résultats (1) tendances générales
- Profil linguistique des enfants caractérisé par
un bilinguisme d'inégalité entre le français, en
situation de langue forte, et les langues
vernaculaires, en situation de langues faibles - Le français occupe la quasi-totalité des
fonctions de communication - 40 des sujets ont le français pour langue
maternelle - 20 des sujets sont monolingues français.
14Résultats (2) quatre profils linguistiques des
enfants étudiés
- Profil 1 Compréhension et production en français
aucune compétence dans la langue de la
communauté (20 des sujets) - Profil 2 Au moins une langue vernaculaire,
uniquement en compréhension. Le français est la
seule langue de production (20 des sujets).
15Résultats (2) quatre profils linguistiques des
enfants étudiés (suite)
- Profil 3. Au moins une langue vernaculaire en
compréhension et en production, mais cette langue
est utilisée très rarement. Le français est
utilisé dans la quasi-totalité des contextes
conversationnels (28 des sujets) - Profil 4. Au moins une langue vernaculaire en
compréhension et en production. Cette langue est
utilisée régulièrement dans certains contextes,
même si le français reste la langue dominante
(32 des sujets).
16Vérification des hypothèses
17Hypothèse 1
- D'après cette hypothèse, les langues gabonaises
auraient un degré de vitalité plus important au
village quen ville. Hypothèse confirmée par les
données. En effet, même si nous n'avons pas des
données issues de villages, nous pouvons,
intuitivement, soutenir que les langues
gabonaises connaissent moins de problèmes dans
les villages où elles sont souvent les seuls
moyens de communication. Il sera, bien sûr,
intéressant de valider cette intuition par des
données réelles.
18Hypothèse 2
- D'après cette hypothèse, la ville, par sa
structure diversifiée, en termes de populations,
donc de langues, la ville "tue" les langues
vernaculaires. Hypothèse confirmée par nos
données, qui montrent un recul très net des
langues gabonaises chez les enfants. Ce recul est
aussi largement explicité dans les études de
sociolinguistique gabonaise (par exemple Ondzaga
Essoba, 2001 ou bien Médjo Mve, 2000, entre
autres).
19Hypothèse 3
- Cette hypothèse prévoyait que les enfants issus
dun mariage mixte (ayant des parents appartenant
à des ethnies différentes) ne devraient, en
majorité, acquérir que la langue d'un seul
parent. Hypothèse validée par nos données, qui
montrent que majoritairement les enfants parlent
la langue de la mère, c'est-à-dire le parent avec
lequel ils vivent réellement. Quant aux
situations de bilinguisme, au sens des enfants
qui comprennent et/ou parlent quotidiennement et
sans difficulté deux langues différentes, nous
avons observé que les situations d'équilinguisme
sont très rares. Dans la plupart des cas, les
enfants parlent la langue de l'un des deux
parents.
20Hypothèse 4
- D'après l'hypothèse 4, les enfants qui sont
coupés du village, principal lieu dimmersion
linguistique, devraient perdre la langue du ou
des parents, et rompre la chaîne de transmission
intergénérationnelle. Cette hypothèse est aussi
validée par nos données
21Hypothèse 5
- L'hypothèse 5, stipulait que certaines ethnies,
pour des raisons diverses, perdraient plus
rapidement leur langue, alors que, pour dautres,
plus robustes sur le plan culturel et surtout
démographique, la langue devrait avoir un degré
de vitalité plus important. Cette hypothèse est
validée par nos données. Il apparaît, en effet,
que l'indice de perte des petites langues, à
savoir le fang, le ipunu et le inzebi, est moins
préoccupant par rapport à celui dautres langues
telles que le teke, le gisir ou le liduma, par
exemple. On peut donc penser que ces langues
auront une espérance de vie plus importante, et
ce d'autant plus qu'il s'agit de langues parlées
par des communautés transfrontalières le fang
est parlé au Gabon, au Cameroun et en Guinée
Equatoriale le ipunu et le inzebi sont parlés au
Gabon et au Congo.
22Pour contribuer au débat sur la mort annoncée des
langues gabonaises
23Indice de transmission des langues étudiéeschez
les enfants à Libreville
Langues Dans les familles mono-ethniques Dans les familles bi-ethniques Indice cumulé Perte de la langue
fang 85 46 65,5 34,5
gisir 36 35,5 35,75 64,25
ikota 55 77 66 34
inzebi 71 56 63,5 36,5
isangu 100 20,5 60,25 39,75
lembaama 75 25 50 50
liduma 100 25 62,5 37,5
myene 88 58,5 73,25 26,75
24Indice de transmission des langues étudiéeschez
les enfants à Libreville (suite)
Langues Dans les familles mono-ethniques Dans les familles bi-ethniques Indice cumulé Perte de la langue
pove 75 100 87,5 12,5
punu 76 57 66,5 33,5
teke 58 48 53 47
tsogo 75 50 62,5 37,5
vili 66 28,5 53 47
wumvu 100 50 75 25
25Niveau de perte des langues chez les enfants
étudiés
26Mort des langues gabonaises mythe ou réalité?
- Si on considère la grille de lUnesco (2003) à
propos du critère de transmission dune langue de
la génération des parents à celle des enfants, on
peut dire que la plupart des langues étudiées
sont sinon au niveau (5-), c'est-à-dire que la
langue est stable mais menacée, du moins au
niveau (4), c'est-à-dire que la langue est
fragilisée.
27Mort des langues gabonaises mythe ou réalité?
(suite)
- Par rapport au niveau (5-), on voit bien que même
si, dans la majorité des cas, la transmission
intergénérationnelle de la langue est encore
relativement intacte, les langues concernées
peuvent être considérées, malgré tout, comme des
langues menacées du fait du bilinguisme
dinégalité avec le français. Les données
montrent que le fait pour enfant davoir acquis
une langue ne signifie pas quil s'en sert dans
la communication quotidienne.
28Mort des langues gabonaises mythe ou réalité?
(suite et fin)
- Par rapport au niveau (4), dans toutes les
configurations familiales des enfants étudiés et
quelle que soit la communauté, aucun enfant ne
parle la langue de la communauté en tant que
langue majoritaire dans la communication
quotidienne, la langue de la communauté est de
plus en plus confinée à quelques contextes
sociaux précis (par exemple, à la maison,
principalement lorsque les enfants communiquent
avec la mère et les grands-parents).
29Une théorie applicable au Gabon?
- Pour expliquer l'extinction progressive des
langues gabonaises, les enfants nous apprennent
que les principales raisons sont (1) le non
retour aux sources (villages), (2) le fait que le
père et la mère soient d'ethnies différentes
(donc ayant des langues vernaculaires
différentes), (3) la scolarisation uniquement en
français et (4) la réduction des fonctions des
langues vernaculaires gabonaises, c'est-à-dire
leur absence dans la quasi-totalité des
conversations quotidiennes entre les enfants et
leurs différents interlocuteurs.