Title: L
1Lenfant échangé de Pirandello
- du mythe à la rupture la problématique mère,
handicap et société. - Elisabeth Kertesz-Vial et Claude Hamonet.
2CommentairesCe texte met en valeur toutes les
interprétations anthropologiques que génère la
présence dun enfant différent. Il est perçu à
travers linfirmité, la monstruosité, limpureté.
Il est présenté sous langle de la compassion et
de lespoir qui vont jusquau déni dune réalité
cruelle alors que survient un dénouement
inattendu et merveilleux dans lequel infirmité et
pouvoirs spéciaux font alliance et où lamour
maternel triomphe.
3Dans la description de lenlèvement ,
transparaît le déni, cest-à-dire le refus
davoir mis au monde un monstre.
4Les contrastes des descriptions physiques sont
saisissants dun côté, le blanc de la pureté,
la blondeur de linnocence ( un Enfant Jésus ),
on ne peut rêver mieux un Enfant-Dieu, rempli
de toutes les qualités. De lautre, la noirceur
de la méchanceté (la comparaison avec le foie est
surprenante, mais probablement cet organe, dont
on se plaint souvent, il faut dire, est chargé de
vertus maléfiques).
5 Il ny a pas que la couleur, il y a aussi la
laideur qui frôle la bestialité (plus proche
du singe que de lhomme).
6La mère se culpabilise de ne pas avoir su
protéger son enfant puisquelle sest endormie et
était inattentive à ce qui pouvait se produire
il est tombé. Toutes les mères denfants
handicapés sont horriblement culpabilisées et
pensent quelles ont commis une faute ou nont
pas su être assez vigilantes.
7De plus, on a la sensation que des forces
obscures sont intervenues avec un rebondissement
suspect après la chute et une position inversée
(les pieds vers la tête du lit, au lieu du
contraire comme cela aurait dû être). Bref, des
forces du mal ont changé lordre des choses, et
exercé une force surnaturelle. Il y a eu
malfaisance et maléfice.
8mauvaises, elles jouent à Sara Longo un
vilain tour en changeant son joli enfant
en vilain . Ailleurs, ce sont les stigmates de
linfirmité qui apparaissent par ces mauvaises
actions lenfant devient boiteux , ou
bigleux (on retrouve la symbolique de
laveugle et du paralytique).
9Il y a un rejet et un dégoût de la mère qui ne
veut pas voir ce qui sera maintenant son enfant
un paralytique . Là aussi, se confirme la
stigmatisation par une maladie porteuse de
mauvaises choses, une paralysie infantile .
10Elle ne veut pas de cet enfant. Elle désire même
senfuir, horrifiée et déstabilisée. Cependant,
linstinct maternel des voisines est plus fort
que leur dégoût, mais aussi leur peur, et des
tentatives dalimentation avec des adaptations
techniques particulières sont réalisées et elles
improvisent une tétine
11Une surveillance, à tour de rôle, est établie, ce
qui répare , en quelque sorte, la négligence
de la mère qui sest fait voler son enfant.
Cette dernière, trop traumatisée par laltérité
de son enfant handicapé, était dans lincapacité
de le faire pendant quelques jours.
12Il sagit aussi de prévenir une tentative
meurtrière de la part de la mère mais elle ne
va tout de même pas le laisser mourir de
faim ? . On pense même prévenir la police
13Cest alors que la mère va tenter dentrer en
relation avec les détenteurs des pouvoirs
occultes qui ont provoqué cette situation. Elle a
un espoir fou de retrouver lenfant quelle
aimait. Ce comportement est fréquent et le
recours aux charlatans, voire à la sorcellerie,
nest pas exceptionnel de la part de mères
désespérées, à la recherche de soutiens pour
sortir du drame affreux où elles sont plongées.
14Un espoir est entretenu lenfant (la guérison)
est entrevu (e). Astucieusement, la
sorcière propose un marché soccuper de
lenfant monstrueux, cest faire du bien à
lautre , celui qui est fantasmé et lointain.
15La balance entre ce quon dénomme cruauté (qui
pourrait aussi être un devoir ) et la
compassion face à une souffrance intolérable est
bien décrite. Elle donne de lespoir (cest la
Réadaptation) qui permet de vaincre une
répugnance pour les tâches sordides (donner le
sein à une bouche denfant hideuse).
16On perçoit ici le rejet, par lapparence, de
personnes handicapées et qui fut bien mis en
évidence dans Elephant man . Au-delà de
lexemple du sein, il y a évocation de la
confrontation de ce qui est doux et chaud, intime
pour une femme, avec une monstruosité bestiale
qui nest pas sans évoquer les impressions
ambivalentes de La belle et la bête .
17Lintérêt matériel que suscite de telles
situations nest pas exclu, à linstar du profit
que tirent, un bon nombre de personnes, de la
souffrance et de la déchéance des autres (au
sens large de Georges Canguilhem ).
18Les profiteurs du handicap sont nombreux. Sara
Longo sait se faire payer en se rendant
nécessaire. Astucieusement, quand il ne se passe
rien (elle na pas de vision de lenfant blond),
cest plus cher, pour encourager, par une
surenchère, la sorcière bienfaisante et
trouble.
19La femme, la mère est seule, comme souvent. Le
mari est parti au loin, ici il revient de Tunis.
Il se sent peu concerné, cest un coureur des
mers . Il passe à côté du drame, en se
satisfaisant de vagues explications pour
expliquer la déchéance (aux sens physique et
médical, cette fois) dans laquelle il retrouve sa
femme et son fils. Il repart.
20La femme est encore seule, sans soutien, la
sorcière lui fait aussi défaut et elle doit
affronter, à nouveau, sa condition de femme qui
subit une grossesse qui, pour elle, est très
pénible. Ce dernier point pourrait être lié et
introduire un élément de congénitalité
malheureuse et douloureuse dans une affaire où le
sort est, jusquà présent, contraire à cette
malheureuse
21- De plus, ce nouveau bébé soustrait le lait de sa
mère à lautre , celui qui est paralysé,
semblable à une poupée de chiffon . La tête ne
tient pas, est ballante, les membres sont
déformés et tordus. Ceci évoque une poliomyélite
antérieure aigue, précisément appelée paralysie
infantile , qui se manifeste dans la petite
enfance par un syndrome paralytique plus ou moins
diffus. Ce peut être aussi une maladie de
Werdnig-Hoffman, syndrome paralytique évolutif
redoutable apparaissant dès la naissance.
22- Arrive, ce qui est fréquent, le rejet et le déni
par le mari qui, soupçonneux, est certain que,
lui, na pu procréer un monstre et imagine
(léloignement facilité les phantasmes) que son
fils est mort, que ceci lui a été caché et que
cest un enfant maudit , sorti dun lieu
infamant, lhospice, qui lui a été substitué. Il
ne veut pas de bâtard , exprimant bien quun
enfant infirme est aussi impur à ses yeux.
23- On note aussi que Sara Longo sest attachée au
petit qui nest plus un monstre pour elle, mais
un enfant quelle protège contre la violence de
son époux de qui elle obtient la tolérance,
notion importante, essentielle même, face à la
différence pour ce qui est de la personne
handicapée, victime habituelle de toutes les
discriminations.
24- Son vrai motif, à elle Sara, est lespoir,
limmense espoir que le bien quelle prodigue à
laffreux profitera au beau . Ceci subira
des aléas. Larrivée dun deuxième bébé va la
distraire de lenfant échangé , qualifié de
pauvre loque de gamin . Loque fait bien
référence à la paralysie. Dautant que cet enfant
est, non seulement, étrange , mais
étranger et, cela, tout le monde le savait
il nétait pas à elle . Cest ambigu, car elle
nest pas responsable, en tant que mère, de son
état pitoyable, dautant plus quelle vient de
mettre au monde un bébé normal .
25- La description de lenfant handicapé est
poignante et exprime parfaitement toute la
misère, encore actuellement, qui entoure le
statut denfant sévèrement handicapé.
26- Son corps fantoche ne lui permet que de se tenir
assis dans une chaise spéciale (à bascule, en
toile cirée), ses membres inférieurs sont
visiblement déformés ( tordus ). Il existe une
expression américaine pour cela crippled
il tient mal sa caboche il a du mal (cest
le cas dans le Werdnig-Hoffman), à ouvrir ses
paupières il ne parle pas, ou peu il est
passif, il subit les outrages physiques on lui
jette du sable, et les outrages moraux il est
accusé dêtre un fils de sorcière, il est exclu
par les adultes on ne veut le voir ni dans la
maison, ni dans la rue, ni sur le seuil de la
porte .
27- Ceci rappelle lexpression de Murphy, lui-même
atteint dune maladie paralysante ni mort, ni
vivant, ni en dehors de la société, ni à
lintérieur . Il décrit les personnes
handicapées dans une situation de liminarity ,
sur les limes , sur le seuil . Cest le cas
de lenfant échangé qui reste, ainsi, sans nom,
anomique comme le sont, aujourdhui, de fait, les
personnes handicapées.
28- La question de la subjectivité est également
abordée personne faible, vulnérable, lenfant
handicapé à un sourire triste , voire
hideux , avec des rides aux yeux et à la
bouche. Le sourire est lointain , comme la
personne dailleurs, puisquelle nest pas dans
notre monde. Elle est sale (les cheveux,
surtout), elle est pauvre (un quignon de pain,
une mauvaise pomme, pour se nourrir).
29- Tout ceci exhale la misère, la pauvreté, la
saleté, limpureté et létrange, tout le
contraire du beau bébé qui apparaît sur le seuil,
tendrement tenu par les bras de sa mère. On sent
que, lui, il va le franchir le seuil. de la vie.
Et puis, il y a lautre , le vrai, le premier,
qui, en contraste avec ce survivant à lallure
dramatique, grandit, tout beau et florissant ,
il est heureux
30- En effet, le message est que dêtre handicapé,
cest être mal-heureux cest faux,
heureusement ! - Reste le dénouement final et un renversement
espéré pour passer dune situation de son
handicap à celle de bien-être et de gueux à
celui de prince puis de roi.
31(No Transcript)